A la lecture du titre, on pourrait m'accuser de tirer sur l'ambulance, de faire dans la facilité au moment où l'action ILIAD vient de perdre plus de 50% en bourse par rapport à ses plus hauts. Mais j'annonçais déjà ce risque fin 2011 / début 2012, non sur ce blog bien entendu mais sur certains forums.
Mon sentiment était principalement fondé sur l'incompatibilité entre des investissements insuffisants dans le réseau et les fréquences et un prix délirant considérant le volume de data inclus dans le forfait principal.
Il y aurait beaucoup à dire, énormément de faits, déclarations, dates, données à retrouver et organiser, ce qui serait ... rébarbatif. Je vais donc tenter une synthèse.
Des investissements insuffisants dans les fréquences
Dès le départ, Free n'a à mon avis pas investi suffisamment, tant en fréquences qu'en nombre de sites. Achat d'un tiers de licence 3G seulement (5 MHz dans la bande 2100), une enchère en LTE 800 qui n'a pas permis de récupérer ne serait-ce qu'un lot de 5 MHz (et la non utilisation de l'itinérance de droit sur le réseau de l'opérateur qui a obtenu 2 licences de 5 MHz).
Sur ce chapitre, le régulateur a pourtant fait ce qu'il fallait pour son poulain (le dernier entrant, qui était là pour mettre un peu d'ordre dans un secteur bien trop ronronnant ?) en le faisant bénéficier de 5 MHz supplémentaires dans la bande 900 (en remerciement de ne pas avoir joué le jeu en payant une licence complète en 2100 ?) puis en lui octroyant 15 MHz en 1800.
Or, on le sait depuis l'arrivée de Bouygues qui a eu beaucoup de mal à offrir une couverture décente les premières années en déployant en 1800, les fréquences sont le nerf de la guerre :
- en 3G, couvrir au départ en 2100, puis assurer ensuite le trafic avec seulement 2 bandes de 5 MHz, c'est difficile quand on offre autant de data, sauf à se ruiner avec l'itinérance (voir plus bas) et/ou à proposer une qualité de service en dessous de tout (il suffit de consulter les enquêtes qualité de l'ARCEP),
- en 4G, couvrir au départ en 2600, puis en 1800 et enfin en 700 avec des échéances de libération aussi éloignées, c'est mission impossible quant on connait la géographie de la France.
Un réseau éparpillé façon puzzle
Alors que je me réjouissais d'assister à un nouveau déploiement de réseau (une vieille marotte), j'ai été vite déçu. Pas de déploiement par plaques comme Bouygues à son époque, mais une sorte de jeu de fléchettes sur une carte faisant apparaître les zones les plus densément peuplées. Et aucune anticipation (quand on a une licence depuis plusieurs années, rien n'empêche de monter une partie du réseau avant l'ouverture commerciale), les installations et activations de sites semblent s'être faites au dernier moment, pour respecter les obligations de couverture attachées à la licence.
Dans les débuts, certains sites auraient été éteints juste après la vérification du gendarme des télécoms si l'on en croit les syndicats d'Orange...
Ajoutons qu'en 4G la même politique a été suivie, les premiers sites étant parfois raccordés au coeur de réseau par des liens xDSL pendant plusieurs mois (avec des débits résultants dignes de la 3G... sans doute une illustration de la "4G fausse monnaie" dont Free taxait ses concurrents ?), des aériens (les éléments rayonnants situés en haut des pylônes) non compatibles avec les futures fréquences, le matériel correspondant non installé à l'avance au pied des sites afin d'éviter de multiplier les interventions humaines (par exemple : 4 ans pour généraliser les équipements LTE 1800 sur le réseau après la date de mise à disposition, annoncée à l'avance qui plus est).
Le bridage de l'itinérance sur le réseau Orange 3G
Je ne parle pas du bridage officiel présent depuis septembre 2016, contrepartie de la prolongation de la perfusion de l'itinérance dont Free ne peut toujours pas se passer... mais de celui présent depuis le lancement de 2012.
Comment pouvait-il en aller autrement ? Alors que la norme pour un forfait confortable était à l'époque de 500Mo, Free a offert pour bien moins cher 6 fois plus de data sur son forfait principal... en étant loin de posséder la densité de réseau nécessaire pour écouler le trafic. Orange était donc la variable d'ajustement par le biais de l'itinérance, et le réseau de l'opérateur numéro 1 a ainsi écoulé l'énorme majorité du trafic de Free au lancement.
Orange, qui propose la meilleure qualité de service depuis "toujours" (voir les enquêtes qualité), et dispose des plus fortes capacités, n'a bien entendu pas proposé de forfait illimité à Free pour l'itinérance de ses abonnés, ce qui a eu les conséquences suivantes :
- un bridage, opéré par Free (il y a un large consensus sur ce point après beaucoup de controverses), pour éviter que le coût de l'itinérance ne devienne astronomique, ce qui a logiquement entraîné une qualité de service catastrophique pour ses abonnés (sauf pour lancer des "speedtests" !),
- un coût qui a néanmoins été pharamineux pour le 4e opérateur, dans les environs de 600-700 millions d'euros annuels au plus fort de l'usage du dispositif (alors que X NIEL avait prétendu que la construction d'un réseau complet permettant de tenir 10 millions de clients, sur 95% du territoire (sic) ne lui coûterait que 1 milliard !).
Point d'étape
Free est actuellement au pied du mur (d'investissements) :
- sa qualité de service est très en dessous de celle de ses concurrents, depuis la toute première enquête qualité de l'ARCEP : débits moyens, taux de couverture de la population et du territoire, taux de communications réussies...
- son déploiement est systématiquement en dessous de celui de ses concurrents, avec souvent 3 fois moins de relais déployés en 4G, mois après mois...
- le prix de ses offres mobiles n'a plus rien d'avantageux, ses concurrents s'étant alignés et répliquant à la moindre "vente privée", tout en proposant une qualité de service bien meilleure,
- le secteur fixe, jusqu'ici très lucratif pour Free, ne permet plus de financer les investissements dans le mobile, les concurrents ayant décidé (Bouygues en particulier) de casser les prix afin de couper sa principale source de financement.
On parle régulièrement de consolidation du secteur des télécoms en France. Les épisodes passés ont évoqué le rachat de Bouygues, de SFR, l'entrée de Bouygues au capital d'Orange, toutes sortes de combinaisons dans lesquelles Free récupérait des fréquences, un bout de réseau... et "accessoirement" un secteur assaini où les prix allaient pouvoir remonter.
Le statut du fossoyeur du secteur (dans lequel les investissements dans les zones non rentables ne se font qu'au forceps et où des milliers d'emplois ont disparu) pourrait désormais passer de prédateur à... cible.